Le jour où j’ai essayé de prendre le bus à Bruxelles…

2013 : Premières tentatives

Tout commence en avril 2013. J’ai alors 21 ans, je suis étudiante à Bruxelles et je vis en kot depuis trois ans.

Pendant deux ans, j’ai emprunté tous les jours les transports en commun bruxellois (bus, tram, métro). Je me déplaçais à pied, de plus en plus difficilement au fur et à mesure des mois qui passaient. Comme on dit souvent, « ça peut arriver à n’importe qui ». Les six derniers mois, en béquilles, j’ai rencontré plusieurs difficultés dans les transports, principalement de l’incivilité : sur environ 300 trajets en bus, 5 personnes m’ont proposé leur place. Les 295 fois restantes, je demandais poliment et, heureusement, la personne acceptait toujours (même si je m’attirais parfois les regards noirs de personnes âgées). Une dizaine de fois, le bus/tram a démarré alors que je venais d’entrer et je me suis retrouvée par terre.

Depuis octobre 2012, je me déplace en fauteuil roulant. Je me rends désormais à mes cours en (petite) voiture (d’occasion). Tous les jours, je dois demander de l’aide pour sortir le fauteuil du coffre, me pousser d’une classe à l’autre et démonter le fauteuil à la fin de la journée. Début janvier 2013, j’ai entamé la longue procédure de demande d’un fauteuil électrique. Avant de recevoir l’accord de la mutuelle, un essai du fauteuil est indispensable. Le test a donc lieu fin avril 2013, et j’en profite pour tester l’accessibilité (ou plutôt l’inaccessibilité) des transports en commun. N’ayant pas les moyens d’acheter un véhicule aménagé, et mon école ne disposant pas d’un parking (ma présence au cours dépend alors de la disponibilité de l’unique place PMR de la rue), j’envisage de me rendre à nouveau en bus à mes cours…

Avant de me lancer dans mon « aventure », je prends évidemment le maximum de renseignements. Le site de la STIB est plutôt rassurant en ce qui concerne l’accessibilité, de même que le guide « Bruxelles en fauteuil » (avril 2011).

Et pourtant, après deux journées passées à essayer d’emprunter les transports en commun bruxellois, je me rends compte que la réalité est bien différente de ce qu’annonce la STIB : aucun moyen de transport n’est accessible en fauteuil roulant électrique ! Qu’il s’agisse du bus, du tram ou du métro, je n’ai pu monter à bord d’aucun véhicule.

Les 10 bus que j’ai essayé de prendre (tous affichant un logo bleu « PMR » sur le pare-brise) étaient tous équipés d’une rampe d’accès, mais pas une seule de ces rampes ne fonctionnait. Et comme le fauteuil pèse près de 200 kilos, impossible de le soulever manuellement, même avec l’aide de cinq personnes… Les trams les plus récents sont également pourvus de deux rampes (une de chaque côté), mais celles-ci n’ont apparemment jamais été activées. En ce qui concerne le métro, certaines stations possèdent un ascenseur, mais l’écart entre le quai et la rame est infranchissable en fauteuil roulant. Un service d’assistance existe, mais celle-ci doit être réservée plusieurs heures à l’avance, en appelant un numéro surtaxé, et n’est disponible qu’à certaines heures (pas après 20h, par exemple).

Révoltée par la situation, je rédige alors un compte-rendu de cinq pages, où je raconte mon expérience et cite les informations (erronées) données par la STIB dans différents documents.

Ne voyant pas à qui je pourrais l’envoyer pour essayer de faire bouger les choses, ce document restera ensuite plusieurs mois dans un coin de mon ordinateur…

2014 : Le « coup de gueule »

Après avoir enfin obtenu mon fauteuil électrique (en juillet 2013), je pars quatre mois à Edimbourg dans le cadre du programme Erasmus. Dans la capitale écossaise, aucun problème d’accessibilité : tous les bus sont adaptés, et pas une seule rampe en panne (étrange, non ?) !

Début janvier 2014, de retour en Belgique où les bus ne sont toujours pas accessibles, je cherche donc un autre moyen de me rendre à mes cours. Je contacte le service minibus de la STIB, destiné aux PMR ne pouvant justement pas emprunter les transports en commun. Et là, surprise : je ne suis apparemment « pas assez handicapée » pour pouvoir utiliser ce système ! Malgré ma reconnaissance par le SPF Sécurité Sociale, ma carte de stationnement, et mon fauteuil électrique payé par la mutuelle et l’AWIPH, je ne rentre pas dans les conditions d’accès au service. Les minibus du TEC, en Wallonie, acceptent pourtant n’importe quelle personne dont la mobilité est réduite, même temporairement (personne âgée ou malade, jambe dans le plâtre,…), mais la STIB exige un minimum de 12 points d’invalidité.

La seule solution pour pouvoir continuer mes études serait de faire les trajets en taxi adapté, tous les jours jusqu’au mois de juin. Plusieurs sociétés de transport pour PMR existent à Bruxelles, et leurs tarifs sont similaires : 25€ l’aller simple Uccle – Ixelles, soit 50€ par jour. Pour 5 trajets par semaine, j’en aurais pour 1000€ par mois, et plus de 5000€ au total. Etant étudiante, je ne dispose évidemment pas d’une telle somme…

Je me décide enfin à envoyer mon compte-rendu d’avril 2013 à Christian De Strycker (responsable accessibilité STIB), après avoir ajouté un paragraphe sur le problème du minibus, et quelques exemples de villes où les transports en commun sont parfaitement accessibles (Bruxelles étant d’ailleurs la seule où ils ne le sont pas du tout).

J’échangerai avec lui une dizaine de mails, qui ne feront malheureusement que confirmer le problème… « Oui, les rampes ne fonctionnent pas – Non, on ne peut rien y faire – De nouveaux bus adaptés vont bientôt être mis en circulation, mais pas sur les lignes que vous empruntez – Non, on ne peut pas modifier les conditions d’accès au minibus ».

À deux semaines de la rentrée, je me retrouve dans une situation désespérée. Je risque de devoir arrêter mes études, alors que je ne suis plus qu’à six mois de ma remise de diplôme !

Sans grand espoir, j’envoie alors un mail à la RTBF pour expliquer ma situation….

Dix jours plus tard, devant les caméras du JT, j’essaye à nouveau de monter dans un bus de la STIB. Sans surprise, les rampes des trois bus testés sont toutes hors-service. Le 24 janvier, le reportage est diffusé dans le JT de 13h, et M. de Strycker vient lui-même donner quelques « explications » (ou plutôt tente d’en donner).

Il y a également un article sur le site de la RTBF.

Le 27 janvier, mes cours reprennent. N’ayant toujours pas d’autre solution, je m’y rends en taxi adapté (à mes frais). Heureusement, une « bonne nouvelle » arrive deux semaines plus tard : l’AWIPH accepte de rembourser les trajets entre mon kot et mon école, jusqu’à la fin de l’année ! Je suis évidemment soulagée (et je remercie l’AWIPH pour sa rapidité, qui m’a envoyé son accord un mois après l’introduction de ma demande, alors que le délai normal est de 5/6 mois), mais je trouve cela dommage qu’un organisme public dépense plusieurs milliers d’euros pour financer ces déplacements en taxi, alors que je préfèrerais pouvoir emprunter les transports en commun et payer mon abonnement comme tout le monde (et je ne suis sûrement pas la seule dans ce cas !).

2015 : Non, non, rien n’a changé…

Un an plus tard, les transports en commun bruxellois sont toujours aussi peu accessibles. Les statistiques de la STIB sont d’ailleurs complètement irréalistes : 100% de véhicules accessibles pour le métro (0% dans la réalité), 55% pour le tram (toujours 0%) et 83% pour le bus (plutôt 8% en étant optimiste) ! Le type qui a inventé ces chiffres n’a visiblement jamais mis les pieds dans un fauteuil roulant…

Les rampes de bus n’ont pas été réparées, celles des trams n’ont pas été activées… Quelques stations sont désormais équipées d’ascenseurs, mais il est toujours impossible pour une personne en fauteuil de rentrer seule dans une rame de métro. De nouveaux arrêts de tram ont été construits et ne sont pourtant pas aux normes d’accessibilité (lacune infranchissable pour monter dans le tram). Le minibus est devenu « Taxibus », les horaires sont élargis mais les conditions d’accès restent les mêmes, et les abonnements ne sont pas toujours pas valables comme moyen de paiement. Les lignes « Accessibus » sont toujours au nombre de cinq, et même ces lignes ne sont que très partiellement accessibles…

La situation n’a donc pratiquement pas changé depuis deux ans. Les derniers rapports de l’ONU, du Centre pour l’égalité des chances ou du CAWAB insistent sur l’urgence des aménagements à mettre en place, et j’espère vraiment que la STIB en tiendra compte (pour plus de détails, vous trouverez ici les recommandations du Centre).

En ce qui me concerne, beaucoup de choses ont changé depuis un an : suite au reportage, de nombreuses personnes à mobilité réduite m’ont contactée, dont plusieurs représentants d’associations. Je me suis rendue compte que je n’étais pas seule à mener ce combat. J’ai aussi constaté que certains PMR avaient fini par renoncer, en voyant que l’accessibilité n’avait quasiment pas évolué depuis dix ou quinze ans… Mais j’ai encore de l’espoir : tous nos voisins européens ont réussi à rendre leurs villes plus accessibles, alors pourquoi pas nous ?

Aujourd’hui, je ne vis plus en Belgique car l’accessibilité actuelle ne me permettait pas d’y continuer mes études. En France, je suis devenue vice-présidente d’une association visant à améliorer l’intégration des étudiants handicapés au sein de mon université (et de la société en général). J’y ai rencontré des gens qui partageaient mes idées, et cela m’a encouragé à ne pas baisser les bras.

Je ne reviendrai probablement pas vivre à Bruxelles, en tout cas pas tant que la ville sera aussi peu « wheelchair – friendly ». Mais le jour où une manifestation pour l’accessibilité sera organisée, vous pouvez être sûrs que je serai au premier rang…

Blandine

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *